Il n’est pas d’aventure plus singulière que celle de Debussy, l’un des plus grands musiciens français.

À lui seul, il modifie si profondément le langage et ses usages qu’il ne sera plus possible aux compositeurs qui viendront après lui de passer outre sans risques. Il a mis tout le monde au banc des autodidactes et, après lui, chacun se doit de découvrir le secret de soi-même qui le distinguera de tous et de tout. Est-ce en conséquence de cette obligation d’être singulier et de conquérir son autonomie la plus pure que Debussy reste sans disciple réel et le plus solitaire des maîtres ? Il semble qu’après lui, selon cette exigeante liberté qu’il montra dans toute son œuvre, chacun se hasarde tout autant à fuir son charme qu’à imiter ses vertus ; d’où des vulgarisations diverses et des reniements. Certains degrés de beauté ne sont pas tolérables et tout devient prétexte pour retarder de trop redoutables épreuves. Après guerre, alors que monteront les jeunes fauves du temps, son art fascinera toujours, mais n’entraînera plus en de difficiles exercices. Il ne sera jamais cet étalon à quoi l’on mesure ce que l’on peut valoir. Pour reprendre la vieille image, on peut dire que, s’il fut considéré comme un phare, chacun se garde de naviguer dans les eaux qu’il éclaire. Mystérieuse désertion. Et tout ce qui se passa grâce à lui se joua loin de son génie le plus intime et de ses préférences les plus profondes. Il demeure, pourtant, et l’on n’a pas fini d’admirer en lui les linéaments les plus parfaits qui puissent composer ou suggérer un monde sonore. Bartók disait de Debussy qu’il était le plus grand. L’éloge est de poids dans une telle bouche. Peut-être le temps vient-il où l’on se doit de mieux considérer, et à partir d’autres critères, en quoi et pourquoi s’impose cette grandeur.